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Se soulager de la phobie de la mort par un roman
5 octobre 2016

THANATOPHOBIE, les origines

Du retour de la maternité, jusqu'à mes 18 mois, j'ai vécu dans la maison de mon grand-père atteint d'un cancer du foie. J'ai mis des décennies à comprendre que ces quelques mois, passés dans la maison d'un mourant, avaient modelé toute mon approche de la vie et, hélas, mis la graine de la thanatophobie dans mon esprit. Elle restera dormante pendant 24 ans, jusqu'à ce que le diagnostic de maladie de Charcot, pour mon père, nous soit révélé.

On pense que les bébés ne comprennent pas, qu'on peut parler de tout devant eux sans que cela ne les affecte. Permettez-moi d'en douter... Si le sens des mots leur est inconnu, l'émotion qu'ils véhiculent est très bien perçue par le bébé qui est une véritable éponge. Il engrange des images, des sensations, des odeurs et des sons sur lesquels, plus tard, il apposera un concept. Si vous riez, il se réjouit et se sent en sécurité mais si vous êtes en colère ou pleurez, il perçoit un danger et s'inquiète de sa sécurité. 

Même si mes parents m'ont tenue le plus possible à l'écart de ce drame familial, j'ai certainement entendu les pleurs du découragement, du désespoir et peut être même, les gémissements de douleur de mon aiëul. J'ai aussi perçu l'odeur singulière de la maladie qui me pince encore le coeur quand j'en retrouve les terribles flagrances dans un hôpital ou sur une personne que je croise. Mais tout cela n'est rien à côté de cette impuissance ressentie, enfant, à ne pas pouvoir intervenir, ni aider. J'ai été irradiée d'émotions tristes pendant les 18 premiers mois de ma vie, sans compter le temps du deuil de ma famille.

Est-ce à cause de cette période douloureuse de 18 mois ? Je ne saurais dire mais le fait est que j'ai fait mon premier sourire à 4 ans.

Il se trouve que j'ai eu des amis formidables et vécu, dans l'ensemble, une enfance et adolescence incroyablement riches, festives et heureuses. Le bonheur et l'énergie dont je débordais ont empêché la graine de la phobie de se développer, mais dans ma bezace mentale, il y avait, hélas, tout le terreau nécessaire à sa germination.

Dès que j'ai appris, à 24 ans, que mon père était atteint de la terrible maladie de Charcot (SLA), la thanatophobie s'est totalement exprimée, j'ai perdu en énergie vitale et j'ai développé l'obsession de guérir mon père de son mal incurable.

La racine de cette obsession, je le découvrirais deux décennies plus tard, était l'agonie et décès de mon grand-père dans la maison où j'avais été bébé. J'avais vécu dans le logis d'un mourant (il avait tenu à mourir chez lui, près des siens) et mon père s'apprêtait à y mourir aussi. Dans la même "chambre du bas" puisque sa paralysie faisait qu'on ne pouvait plus le transporter dans la sienne, à l'étage. J'arrivais de Paris avec l'envie d'en découdre avec son mal mais, sitôt le seuil de la maison franchi, impuissance et angoisse me submergeaient. L'état de dégradation rapide du corps de mon papa et son regard infiniment triste me désarmaient. Je me noyais dans ma phobie et avais du mal à respirer et même, à avaler. Il m'était impossible de l'aider et cette impuissance à aider me donnait le sentiment, en tant qu'être humain, de me dégrader.

La thanatophobie ne vous tombe pas dessus du jour au lendemain. Elle se nourrit pendant longtemps, et patiemment, des drames qui jalonnent votre vie. Elle étend son puissant rhizome à l'intérieur de vous et quand elle se manifeste enfin, ses racines sont si solides qu'il est bien difficile d'en venir à bout. Elle prend le contrôle de votre pensée, de votre corps, fait battre votre coeur, comprime votre larynx et vous donne la sensation d'une mort imminente.  On essaie de combattre les "bourgeons" visibles sur le plan physiologique mais autant couper une ortie au ciseau. C'est tout le rhizome mental qu'il faut arracher et anéantir. Et il est épais, dur comme de l'acier, et profond.

Les chiffres sont très étranges... J'ai vécu 18 mois dans la maison d'un grand-père paternel atteint d'une maladie incurable, son fils est parti en 18 mois un 18 octobre d'une maladie incurable aussi et, le 18 novembre suivant, j'étais hospitalisée pour une péritonite aigüe et septicémie. Je pense m'être punie de ne pas avoir su aider...

Ma vie n'a plus jamais été comme avant... Je n'ai eu de cesse de me débattre pour me débarrasser de cette phobie. Je suis arrivée à la maintenir à distance tant bien que mal jusqu'à ce que, douze ans plus tard, je perde mon frère aîné. Le cocktail souffrance/angoisse a été si fort que je suis retournée en urgence à l'hôpital pour une occlusion intestinale.

Les années ont passé avec cette crainte de perdre totalement le contrôle de mon corps en cas de nouveau choc. Et puis un jour j'ai compris que les repères spacio-temporels du phobique ne sont pas les mêmes qu'une personne "normale".

Quand on est "normal", le présent et le futur sont articulés entre eux mais indépendants, comme les vertèbres. On peut raconter un épisode douloureux du passé sans qu'il n'ébranle le présent et n'affecte le futur. Ces repères sont séparés par des sas de décompression qui empêche "la contamination" émotionnelle.

Chez le phobique, pas de sas. Tout circule librement entre présent, passé et futur. Prenons un exemple : vous avez eu, il y a des années, le nez cassé par un ballon, vous craignez sans cesse, dans le présent, qu'un ballon ne vous casse le nez et, consciemment ou non, vous allez construire votre futur de façon à éviter le plus possible les ballons...

Le phobique essaie toujours, sur le même schéma, d'éviter ce qui déclenche ses paniques mais plus il fuit, plus il est suivi et plus il souffre car rien n'est plus douloureux que les événements auxquels on n'arrive pas à faire face. 

L'événement qui donne vie à votre phobie traverse le temps avec vous parce que votre passé, présent et futur sont collés ensemble, pas séparés par des sas. Si vous avez 3 vertèbres soudées, elles bougent d'un bloc et cela entrave considérablement l'amplitude de vos mouvements.

C'est pareil pour la phobie, à la différence près qu'elle, c'est l'amplitude de votre pensée qu'elle entrave. Vous faites des fixations et avez beaucoup de mal à rendre votre pensée libre et mobile. Vous discutez, vous lisez mais vous savez bien que votre esprit est collé en permanence sur une menace que vous n'identifiez pas.

L'esprit absorbe ou occulte les traumatismes pour permettre à la personne d'avancer dans la vie. Sauf que ne pas savoir ce qui est arrivé, pour un être pensant, est bien plus douloureux que de connaître les événements tels qu'ils se sont déroulés.

Si votre passé, présent et futur étaient naturellement détachés les uns des autres, l'événement désagréable resterait confiné dans son espace temps et vous pourriez le gérer sans l'occulter. Vous diriez "Bon, ce n'est pas parce que j'ai reçu un ballon en pleine figure le mois dernier et qu'il m'a cassé le nez que je vais m'en prendre un aujourd'hui ou demain".

Le phobique est persuadé, lui, que ça va recommencer, encore et encore. De fait, il est constamment sur la défensive. Il tricote, avec fébrilité, un futur lourd et tourmenté.

La phobie ligote votre pensée, vous tire au fond d'un puits et fausse vos perceptions des événements mais curieusement, quand vous rencontrez des gens bien dans leur peau, au lieu de vous booster par leur énergie positive, ils vous font paniquer.

Leur lumière, au lieu d'éclairer votre chemin, vous éblouit et vous fait trébucher. Les gens très positifs émettent sur une fréquence qui vous effraie et un arc électrique désagréable se forme entre eux et vous. Vous êtes la borne - et ils sont la borne +. Vous vous sentez bousculés, voire agréssés par leur vitalité.

Et inversement, quand vous êtes entre phobiques, vous vous sentez compris et en confiance. Le fait est que vous êtes sur la même fréquence émotionnelle et, si cela vous soulage, cela ne vient pas à bout de la graine qui se balade dans les couloirs du temps. Parce que vous restez entre vous, dans la même obscurité.

Ma guérison a été la compréhension d'une impuissance passée. Quand j'étais encore bébé. Mon mal était plus une pensée émotionnelle qu'un événement traumatique. C'était la culpabilité. La culpabilité de ne pas avoir su aider une personne malade. Cela semble ridicule au premier abord car je n'avais que 18 mois. Mais il ne faut pas sous estimer les perceptions et la mémoire d'un très jeune enfant. Cette mémoire peut être polluée par les tragédies familiales.

Quand j'ai pris conscience de ce fait (échec à aider et guérir mon grand-père, mon père puis mon frère), une lumière s'est allumée et j'ai pu enfin retrouver des repères et vivre normalement. Le phobique, à mon sens, est un être qui vit dans le noir. 

Fort heureusement, toute racine exposée à la lumière sèche et meurt. C'est pareil pour la phobie. Sa racine ne supporte pas la clarté de la prise de conscience.

Beaucoup de mes écrits ont été impactés par mon parcours. Celui heureux et insouciant de ma jeunesse et celui, beaucoup plus sombre et tourmenté de ma jeune vie d'adulte. J'explique, par la fiction, beaucoup de mes découvertes personnelles sur la vie et, si j'essaie de nourrir mon lecteur, je ne manque en aucune façon de le divertir et de le faire rire.

 

 

 

 

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